Quand octobre descend sur les montagnes du Carmel, Haïfa se transforme en une ville de lumière, de pellicules et de longues files d’attente devant les salles. Du 5 au 14 octobre 2025, elle accueille le 41e Festival international du film — le plus ancien et le plus grand d’Israël, un événement où les voix de l’Orient et de l’Occident résonnent à l’unisson.
Où se déroule le festival et qui l’organise
Le Festival international du film de Haïfa est un projet de la municipalité de Haïfa avec le soutien du Ministère de la Culture d’Israël, du Fonds du cinéma et du centre culturel Ethos.
Les projections ont lieu dans cinq lieux :
- Cinéma “Cinematheque Haifa” — le cœur du festival.
- Théâtre Tikotin sur le boulevard הנשיא 89.
- Centre culturel Kriger, rue Eliyahu Hakim 6.
- Salle Rapaport, où se déroulent les premières et les rencontres avec les auteurs.
- Espaces ouverts dans la Ville Basse, où des projections gratuites ont lieu le soir sous le ciel.
Chaque année, le festival rassemble jusqu’à 80 000 spectateurs, des centaines de journalistes et de réalisateurs du monde entier. Sa mission est « le dialogue des cultures, la liberté d’expression et la foi dans le pouvoir du cinéma comme pont entre les gens ».
Histoire et esprit du festival
Fondé en 1983, le festival de Haïfa est devenu le premier festival international de cinéma d’Israël. À l’époque, les projections se déroulaient dans une seule salle et ne duraient que quatre jours. Aujourd’hui, c’est un marathon de 10 jours de premières, de discussions, d’expositions et de masterclasses.
Depuis 2022, le festival est inclus dans le programme de l’Académie des Oscars, et les lauréats dans la catégorie des courts métrages ont le droit d’être nominés pour un Oscar.
Programme et événements clés de Haifa 41

Sur la page du festival haifaff.co.il est présenté un programme riche :
- Event and the Opening Film — cérémonie d’ouverture et première projection.
- Industry Events — rencontres avec des producteurs, critiques et réalisateurs.
- Special Events — discussions thématiques, rétrospectives, projections-hommages.
- Outdoor Events — projections en plein air, sur la place devant la salle Tikotin.
Le festival ne vit pas seulement dans les cinémas — il descend dans les rues. La nuit, des projections de films apparaissent sur les façades des maisons, et les spectateurs regardent des films assis sur les marches avec une tasse de café. Haïfa respire le cinéma ces jours-là.
Présence ukrainienne : deux films, deux vérités
L’Ukraine est représentée cette année par deux œuvres puissantes — “Mariana’s Room” et “Two Prosecutors”.
Les deux films ne sont pas seulement des expressions artistiques, mais un rappel de la mémoire, de la conscience et de la dignité humaine.
Mariana’s Room — l’histoire du silence qui entend tout
Programme des projections
- 7 octobre 2025, 11:30 — salle Rapaport
- 11 octobre 2025, 18:30 — salle Auditorium (projection en présence des créateurs du film)
Le film Mariana’s Room, réalisé avec la participation de la France, d’Israël, de la Hongrie et de la Belgique, est en quatre langues — ukrainien, yiddish, allemand et russe. Il est basé sur le roman de l’écrivain israélien Aharon Appelfeld, originaire de Tchernivtsi, dont la vie est devenue un symbole de la survie des enfants juifs pendant l’Holocauste.
Ukraine, 1943. Le silence dans lequel vit un enfant
L’intrigue transporte le spectateur en Ukraine pendant la Seconde Guerre mondiale. Un garçon de onze ans, Hugo, se cache dans une armoire chez la prostituée Mariana, échappant à l’extermination.
Derrière les murs — la guerre et les cris, à l’intérieur — la respiration, l’imagination et l’attente d’une fin qui ne vient pas.
Le réalisateur Emmanuel Finkiel appelle le film « un requiem cinématographique pour ceux qui ont survécu uniquement par l’imagination ».
L’actrice Mélanie Thierry a appris l’ukrainien pendant deux ans pour que son personnage sonne naturellement et authentiquement.
Ce film parle de la façon dont un enfant apprend à entendre le monde à travers les murs et comment l’amour de la vie devient la dernière arme contre l’obscurité.
Quand le tournage a dû être sauvé de la guerre
Initialement, le film devait être tourné à Lviv, dans les vieux quartiers où les murs se souviennent des voix de différentes époques. Mais après l’invasion de la Russie en Ukraine en 2022, tout a dû être changé.
L’équipe a déplacé le tournage à Budapest, où une réplique exacte d’une maison ukrainienne a été construite en périphérie de la ville — avec des murs écaillés, un miroir dans un cadre sculpté et une lumière tremblante à chaque pas.
Les participants ukrainiens du projet — costumiers, artistes, assistants — ont travaillé à distance. Certains se connectaient depuis des sous-sols pendant les alertes.
Finkiel se souvient :
« Parfois, pendant le casting sur Zoom, on entendait des sirènes. Nous attendions. Ils revenaient — et nous continuions. Sans eux, le film serait mort ».
Un garçon d’Ukraine sauvé deux fois
L’interprète du rôle principal, le jeune Artem Kyryk d’Ukraine, a dû être littéralement évacué. Il a rejoint Budapest via la Pologne, où l’équipe de tournage l’a accueilli.
Le réalisateur dit :
« Il jouait dans un film sur la guerre, mais vivait dans la guerre. Et il semble qu’il comprenait cela trop bien ».
Finkiel a insisté pour qu’Artem vive dans la même petite chambre où dort son personnage. Ainsi, l’enfant a ressenti l’isolement, et ne l’a pas seulement joué.
Une voix réapprise
Mélanie Thierry a appris les mots ukrainiens non pas pour l’exotisme. Sa prononciation a un léger accent, mais il y a une vérité là-dedans — une femme qui cache un garçon parle une langue qui n’est pas la sienne, mais qui devient une langue d’amour et de compassion.
Sa réplique finale —
« Дитя моє, мовчи, доки світ не навчиться слухати »
(« Tais-toi, mon enfant, jusqu’à ce que le monde apprenne à écouter ») —
a figé la salle.
À ce moment-là, le silence est devenu plus fort que tous les mots.
Un montage insupportable pour le réalisateur
Finkiel a avoué que le montage du film était émotionnellement insupportable :
« J’éteignais l’écran. Je ne pouvais pas écouter ces cris. Ils rappelaient trop les vraies nouvelles d’Ukraine ».
Le montage a duré près de huit mois. Chaque plan a été poli à la main, laissant des pauses, des respirations, des demi-teintes. Le film est construit sur le son — sur son absence, sur ce que l’enfant entend à travers les murs, et sur ce que nous n’entendons pas.
Pourquoi « Mariana’s Room » est important
Ce n’est pas un film sur le passé. C’est un rappel de la dignité humaine, qui ne connaît ni temps ni frontières.
Dans ce film, la langue ukrainienne résonne comme un acte de résistance, et le silence comme une voix de conscience.
Haïfa, une ville où l’on parle des dizaines de langues, a compris cela instantanément. Ce soir-là, l’écran deviendra le miroir d’un monde où la bonté, la mémoire et l’espoir sont encore vivants.
Two Prosecutors — Loznitsa et le miroir de l’histoire
Le film Two Prosecutors est une coproduction de la France, de l’Allemagne, des Pays-Bas et de l’Ukraine.
Le réalisateur est Sergueï Loznitsa, l’un des documentaristes ukrainiens les plus respectés, dont les œuvres font depuis longtemps partie du canon du cinéma européen.
De quoi parle ce film
L’action se déroule en 1937, au cœur des répressions staliniennes. Un jeune procureur trouve la lettre d’un prisonnier innocent et tente de défier un système impitoyable.
C’est l’histoire d’un homme qui comprend soudain que la vérité est plus précieuse que la carrière et le silence.
Sans scènes spectaculaires ni slogans retentissants — seulement le poids du choix, des couloirs infinis du pouvoir et la lumière froide d’une lampe sous laquelle se décide le destin.
Loznitsa reste fidèle à son style : précision, documentarisme et profondeur éthique.
Les critiques appellent le film « une anatomie de la conscience » — un film où chaque regard et pause en disent plus qu’un dialogue.
Symbole de la résilience culturelle
Pour le cinéma ukrainien, la participation de Loznitsa au festival de Haïfa n’est pas seulement une marque prestigieuse sur l’affiche.
C’est une déclaration de présence et de résilience — d’un pays qui, malgré la guerre, continue de faire partie de la conversation culturelle européenne.
Loznitsa transpose la sensibilité ukrainienne dans un contexte universel — là où la question de la conscience n’a pas de frontières.
Quand et où regarder
Le film Two Prosecutors sera projeté au 41e Festival international du film de Haïfa :
- 11 octobre 2025, 19:15 — salle Rapaport
La durée du film est de 110 minutes.
Langue originale — russe, avec sous-titres en hébreu et en anglais.
Production — 2025.
Pourquoi il est important
Loznitsa rappelle une fois de plus que l’histoire n’est pas des dates, mais des voix de personnes que nous avons trop longtemps ignorées.
« Two Prosecutors » est un film où chaque plan semble découpé d’une chronique, mais monté avec le cœur.
Ce cinéma n’accuse ni ne justifie — il montre combien il est difficile de rester humain quand règne le silence de la peur.
🎥 Les dix films les plus attendus du festival Haifa 41
Chaque octobre, Haïfa devient un carrefour du cinéma mondial. Cette année, plus de deux cents films sont au programme, mais ce sont ces dix-là qui sont le plus souvent discutés — pour eux, les spectateurs viennent de tout Israël et de l’étranger.
La Terre Promise (The Promised Land)
Drame historique du réalisateur danois Nicolas Winding Refn avec Mads Mikkelsen.
L’action se déroule au XVIIIe siècle au Danemark : un homme tente de transformer des terres stériles en un lieu où l’espoir peut grandir.
Le film est considéré comme l’une des découvertes les plus vastes et profondes du festival.
La Disparition de Josef Mengele (The Disappearance of Josef Mengele)
Thriller français basé sur des événements réels.
L’histoire de la fuite du criminel nazi Mengele en Amérique du Sud après la guerre — et la tentative de comprendre s’il est possible de se cacher de la culpabilité si elle vit en vous.
L’un des films les plus tendus du programme.
L’Amour selon Dalva (Love According to Dalva)
Film de la réalisatrice française Emmanuelle Nicot — une histoire tendre mais douloureuse d’une jeune fille redécouvrant la confiance envers le monde après un traumatisme.
Le film a reçu des ovations dans les festivals européens et est devenu « la voix féminine la plus honnête » de Haïfa.
L’Agent Secret (The Secret Agent)
Thriller d’espionnage qui a ouvert le festival sur la double vie et le prix du mensonge.
Le protagoniste, vivant sous couverture depuis des années, perd la frontière entre le rôle et la réalité.
Un film stylé, dynamique et captivant, après lequel les spectateurs tardent à quitter la salle.
La Grande Lillian Hall (The Great Lillian Hall)
Drame de HBO avec Jessica Lange.
L’histoire d’une actrice âgée perdant la mémoire mais essayant de jouer son dernier rôle.
Le film est un monologue silencieux sur le temps, la gloire et la peur de s’oublier.
Tenue de soirée (Tenue de soirée)
Rétrospective de Bertrand Blier.
Comédie française de 1986 revient à l’écran pour rappeler comment la folie, le sexe et la philosophie peuvent se combiner dans un seul film.
La projection est accompagnée d’une discussion sur la liberté du cinéma français.
Les Couleurs du temps (Colours of Time)
Drame philosophique sur la mémoire, les rêves et l’inévitabilité.
Un film presque sans dialogues, construit sur la lumière et la musique.
Il est considéré comme le film le plus contemplatif du festival — un cinéma pour ceux qui savent écouter le silence.
Le Comte de Monte-Cristo (The Count of Monte Cristo)
Nouvelle adaptation française du classique d’Alexandre Dumas.
L’histoire d’Edmond Dantès, mais dans une lecture moderne — l’accent n’est pas sur la vengeance, mais sur la réinterprétation et la liberté intérieure.
On attend un film en costumes d’envergure avec une mer déchaînée et une profondeur psychologique.
Spinal Tap II (Spinal Tap II)
Suite de la comédie musicale culte des années 1980.
Le réalisateur Rob Reiner ramène les rockeurs déjantés, qui ont vieilli mais ne se sont pas calmés.
La première la plus joyeuse du festival — rire, nostalgie et rock inachevé.
La Chambre de Mariana (Mariana’s Room)
Le sommet émotionnel du festival.
Film d’Emmanuel Finkiel, réunissant la France, Israël et l’Ukraine, — sur un garçon se cachant de la guerre dans une armoire, et une femme qui l’a sauvé au prix de sa propre vie.
La salle était debout — une reconnaissance rare dans le monde silencieux du cinéma.
Cette liste reflète ce pour quoi on vient à Haïfa : un cinéma qui fait ressentir, débattre et croire que même à l’ère des inquiétudes, l’écran reste un lieu où les gens cherchent encore du sens.
Pendant le festival, il y a des panels pour les producteurs, des pitchs de jeunes réalisateurs, des rencontres avec les auteurs et des concerts nocturnes à la salle Kriger.
Quand l’écran devient un pont
Le festival du film de Haïfa n’est pas seulement une fête du cinéma. C’est un miroir du monde, où se reflètent les peurs et les espoirs de différents peuples.
Et dans ce miroir, l’Ukraine est visible — non pas comme un pays en guerre, mais comme une source de souffle culturel et d’humanité.
Quand les lumières s’éteignent dans les salles et que la langue ukrainienne résonne à l’écran, les spectateurs ressentent : le cinéma sait encore unir ce que la politique divise.
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